Souffle, souffle le vent. Volent, volent les feuilles. Moi, je tourne, au milieu de la tornade rouge de l'automne.
Mais le temps du silence n'est pas encore venu. Alors je tourne, encore, toujours...
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Souffle, souffle le vent. Volent, volent les feuilles. Moi, je tourne, au milieu de la tornade rouge de l'automne.
Mais le temps du silence n'est pas encore venu. Alors je tourne, encore, toujours...
* - Qu'est-ce que vous voulez ? *
Enfant, tu as rêvé que tu étais un héros, qui sauve le monde et a tout ce qu'il veut, qui est si important que tout le monde est autour de lui.
Adolescent, tu as eu ce que tu voulais, mais tu aurais voulu ne rien avoir, parce que tu n'étais rien, du moins à tes yeux, et que tu ne regardais pas plus loin.
Adulte, tu as cherché à vivre comme il faut, pour racheter tes fautes passées que rien ne peut effacer, même le plus grand de tous les pouvoirs, celui que tu aurais pu avoir.
Plus tard, tu as réalisé que tout ce que tu voulais, c'était quelqu'un pour t'aimer. Que ce que tu avais toujours désiré, c'était quelqu'un qui te regarderait avec des yeux neufs, sans préjugés, qui te connaîtrait et ne te quitterait jamais.
Et puis, tu t'es retourné, et tu m'as regardé. Tu as vu combien je t'aimais. Tu as vu notre ressemblance, notre désir commun de cet amour simple et innocent après tant de haine.
Tu t'es retourné, et tu as réalisé que ce que tu avais toujours désiré, tu l'avais déjà, et que tu ne t'en étais toujours pas lassé.
Nous avons alors commencé à explorer ce que nous avions toujours désiré seuls, ce que nous avions découvert ensemble, ce que l'homme cherche toujours : le bonheur.
C'est une représentation, un spectacle. Dont tu es l'acteur principal. Tous te regardent, mais personne ne te voit. Tous t'entendent, mais personne ne t'écoute. Sauf moi. Moi que tu ne vois pas. Tu fais comme ton public, tu me regardes à peine. Tu sais que ça fait mal ?
Tu es sous les projecteurs. Une lumière crue et morte t'entoure. Comme si le soleil n'allait jamais voir ton visage, remplacé par des projecteurs. Tu baignes dans une lumière artificielle qui n'est pas pour toi. Tu t'éteins dans cette lumière qui te donne un teint cadavérique, un teint qui n'est pas le tien. Sors de là ! S'il le faut, retourne à l'obscurité ! Tu te fais dévorer, il faut que tu fuies ! Ce n'est pas la bonne lumière qui t'entoure. Tu n'es pas un papillon, et quand bien même tu en serais un, tu n'es pas attiré par la lumière, mais par un substitut qui aspire ta vie.
Arrête ! Je t'en prie...
Entouré par une masse humaine mouvante, une jeune fille aux yeux bleus fixe un jeune homme aux yeux violets qui chante. La première n'est qu'une amie d'enfance qui cherche à se faire aimer autant qu'elle aime, et ne veut que protéger l'autre. Le second ne voit que l'adoration d'une foule, sans voir qu'il n'est qu'un symbole remplaçable.
Un instant le monde se fige. Et dans la lumière artificielle brille l'amour, tout l'amour d'un monde égoïste et tout l'amour d'une femme impuissante face au monde. Dans la lumière des illusions, l'unique perdra toujours face à la multitude. Parce qu'une lumière artificielle ne peut qu'éblouir, pas éclairer.
La nuit. Envahie d’étoiles et de bruits étranges qu’on oublie durant la journée, qu’on retrouve avec délice tous les soirs, au crépuscule. La nuit apporte un manteau, une sécurité d’ombre et de ténèbres bienveillantes. Le jour met tout à nu, ne permet aucun masque, au contraire de la nuit qui les encourage. Vivre la nuit permet d’avoir des secrets, et cela, je ne m’en suis pas privé.
Moi, moi, moi. Les hommes sont narcissiques, ils se plaisent à parler d’eux, à se comparer avec le monde. Me décrire ne sert à rien. Dire mon nom n’a aucune utilité. Parler de mon existence est une perte de temps. Je ressemble à ce à quoi la Nature m’a fait ressembler, je porte un nom que je n’ai pas choisi, je vis seul et dans le noir. Je suis aveugle.
Mes oreilles me permettent de me situer et d’avancer. Mes mains m’aident chaque jour un peu plus. Je n’ai besoin d’aucune compagnie humaine. J’ai rencontré d’autres personnes qui vivent dans le noir, depuis toujours ou depuis peu. Il m’a semblé qu’aucune d’entre elles ne s’y est jamais vraiment habituée, n’a jamais apprécié de vivre dans un monde sans images, sans couleurs. Pour elles, c’est un monde sans vie.
Ce jour-là, je n’ai pas parlé. J’ai écouté, je me suis fait une idée assez précise de ce que le monde attend de ceux qui ne voient pas. Depuis, je porte un masque que j’ai modelé selon cette idée. C’est pour moi le moyen d’être oublié, car je paraissais trop différent des gens « comme moi », trop spécial, pas assez « ceci » ou trop « cela ». Juste moi. Comme tous les hommes, je suis unique, mais à tel point que je fais peur. Mon masque me fond dans la masse autant que me le permet ma cécité.
Je ne cherche rien. Je voudrais vivre dans un monde qui n’attendrait rien de moi, qui me laisserait exister, avec moi-même et sans les autres. Je ne cherche pas le bonheur, il m’a trouvé dans le noir où j’étais. Les ténèbres où j’étais étaient froides, mais une chaleur sans lumière est venue à moi, me sortir de mes peurs et de mes larmes, et j’ai trouvé ce que je ne désirais même pas, une envie inconsciente enfouie au plus profond de moi, une lumière noire qui m’accepte et me conduit. Je ne demande rien d’autre que la paix de la nuit.
Qui voudrait me comprendre ? Personne. Et je ne veux pas que quelqu’un essaye, ait un jour l’envie de voir en moi un ami, ou quoi que ce soit d’autre. Mais je crois que personne n’essaiera, parce qu’il me suffirait de montrer un peu du vrai moi, de celui derrière le masque de la normalité, le masque du soleil, pour que le fou ait peur de ma nuit.
Pourtant, quel homme puis-je bien être pour vouloir La fuir ? L’amour est affaire de lumière, selon Elle. Suis-je si faible ? Le noir est ma couleur, sans que j’y puisse rien. Si on veut de moi au point de n’avoir pas peu du noir, il faudra que j’apprenne à supporter les coups de soleil.
- Dis, ça fait quoi de rien voir ?
- Ferme les yeux et ne les rouvre plus.
- Tu n’as pas peur dans le noir ?
- Je n’ai jamais rien vu d’autre.
- Tu n’as rien envie de voir ?
- Les Ténèbres sont plus douces que la Lumière.
- Tu n’en sais rien, puisque tu n’as jamais vu la Lumière.
- Non, mais tu en as trop parlé.
La pluie glisse sur la vitre, telle des larmes de chagrin. Elle pleure sans doute sa propre mort. Je pleure avec elle. Je pleure ma propre mort.
Le sang glisse sur le sol, s'étendant plus loin à chaque seconde. Je n'ai pas mal. Juste un pincement au coeur en pensant à ceux qui resteront derrière moi. Peut-être qu'ils me pleureront. Peut-être qu'ils seront tristes ? J'espère que non, je n'en vaux pas la peine. Mais j'aurais aimé leur dire au revoir.
Je pars en solitaire, comme j'aurais du le rester. Je les ai aimés et protégés jusqu'à la fin. La place qu'ils m'ont offerte, j'ai longtemps cru qu'elle n'était que temporaire. Je me suis trompée. Ils me l'ont donnée, et jamais reprise.
Les hommes tournent autour de moi, prenant garde à ne pas glisser sur le sang qui se répend autour de moi. Ils rient. Mais je ne les entends qu'à peine. Ils sont trop loin de moi maintenant. Je n'ai pas peur. Je n'ai plus mal. Ils m'ont eue grâce à leur nombre, sinon ce sont eux qui seraient en train de mourir sous mes yeux, et non le contraire. Mais il y a toujours cette étincelle au fond de moi, une envie de les faire taire. Une envie de les tuer.
Je sais que je vais mourir. Mais ils partiront avec moi. Je suis fatiguée, mais pas au point de renoncer, ils ne l'accepteraient pas. Après je dormirais. Je dormirais longtemps. Enfin.
Je me lève. Doucement, lentement. Mon arme est restée dans ma main, ils croyaient que je n'avais plus la force de la lever. Mais je la soulève, et ils meurent. Doucement, non. Lentement, non plus. Je dois me venger. Après tout, ils m'ont tué.
Je suis sortie de la salle. Il pleut, et je traîne les pieds vers le baume apaisant de l'eau. J'ai peu de force, mais je les utiliserais toutes, les dernières qui me restent, pour aller me laver du sang. Le couloir. La porte. Il faut pousser fort. Je manque de tomber, mais non. J'avance. Je me traîne. Une traînée de sang derrière moi.
Comment j'ai pu faire ce chemin, je ne sais pas. Je l'ai fait, c'est tout. Tout comme j'ai fait cette vie. Tout comme je les ai aimé. D'ailleurs, les voilà. Eux aussi, ils sont sous la pluie, dehors. En dehors de tout, sauf de l'horreur qu'ils viennent de vivre. Ils n'avaient jamais tué. Moi non plus. Mais je l'ai fait. Pour eux.
Ils m'ont vue, mais ils ne me regardent pas. Je comprends. Je suis toujours en train de mourir, toujours en train de pleurer. La douleur est là finalement. Mais la pluie l'apaise. J'étends les bras. Je sens le rouge tomber au sol, en gouttes toujours plus nombreuses.
L'eau glisse sur mes joues. Je ferme les yeux. J'écoute le bruit qu'elle fait. Je sens son odeur. Je me sens bien. Et je pars. Je meurs. Je tombe sur le goudron bouillant recouvert d'eau. Je n'ai pas froid, je ne sens plus mes membres.
Le ciel est gris, un peu comme moi. Pas blanc, mais lumineux. Pas noir, mais sombre. Pas de soleil, juste une pâle lueur au milieu de l'obscurité. Je le regarde. Mes blessures se remplissent de pluie, c'est apaisant.
Je ferme les yeux. Sentir n'est plus pour moi. C'est l'heure de ressentir. C'est l'heure de partir. Le courage, la force de parler me manquent. J'ai du mal à formuler, même dans ma tête, ce que je veux leur dire. Mais je vais essayer. Il le faut. Ils doivent partir d'ici. Ils sont encore en danger. Ils sont encore en vie.
Moi, plus maintenant. Et ils m'ont vue. Leur chaleur s'étend autour de moi, et j'ouvre les yeux. Je vois leurs visages, leurs cheveux mouillés qui vont bientôt friser, les yeux angoissés, et j'ouvre la bouche.
Partez.
Ils refusent. Ils refusent de me laisser, ils disent avoir besoin de moi. Ils disent que j'ai pris soin d'eux, et qu'ils m'aiment.
Alors partez.
Non. Ils refusent encore. Je les ralentirais, ils ne peuvent pas m'emmener. Ils parlent, se disputent, décident de laisser le plus fort me porter, et s'enfuir seul avec moi. Les autres feront diversion. C'est un suicide, mais ils veulent le faire. Les sons ne sortent plus de ma bouche, ils n'entendent pas mes protestations. Ils veulent que je vive. Avec eux.
Je mourrais avant de recevoir des soins. Je le sens. Je le ressens. Je pars. Je rentre d'exil, je rentre chez moi. Enfin.
Partez. Je vais mourir, quoi que vous fassiez.
Non. Toujours non. Ils mourront avec moi. Ils disent qu’on n’abandonne pas quelqu'un de blessé. Qu'on ne m'abandonne pas. Que je compte trop pour eux, que je dois prendre mes responsabilités, que c'est de ma faute s'ils m'aiment.
Partez, ou vous partirez avec moi.
Oui. Ils acceptent de mourir avec moi. Pour moi. Pour que je ne sois plus seule. Pour que je ne les laisse pas seuls. Ils ont peur pour moi, sans moi. Moi aussi.
Le ciel gris se déchire. Un arc-en-ciel est là. C'est magnifique. C'est pour moi. C'est pour nous. Je suis heureuse. Du bruit soudain, un cri. Un coup de tonnerre, un corps qui s'écroule. Un coup de tonnerre, un poids sur ma poitrine. Un coup de tonnerre, une main douce se pose dans mes cheveux. Un coup de tonnerre, un coup au coeur, du moins ce qu'il en reste. J'ai mal finalement. Le corps est changeant. Les hommes aussi.
Mais pas moi. Les femmes sont rancunières. L'étincelle s'est rallumée. Mon arme se lève, et d'autres meurent. Le Paradis va avoir à faire aujourd'hui.
J'ai lâché mon arme. J'ai fermé les yeux, cherché leurs mains. Les ai trouvées glacées. Mes mains ne sont plus très chaudes non plus. Je serre. Je pleure. Je ne sais pas d'où me vient la force de pleurer. J'ai trop mal pour me poser encore des questions.
Cette fois, c'est bon. Je meurs. Je suis morte, mais après eux. En dernière, comme pour m'assurer que tout est en ordre. Ca l'est.
Partez devant, j'arrive.