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Vol de nuit

"Quel est l'auteur de romans ou le héros qui vous a marqué, fasciné, ou provisoirement éloigné de la littérature ?" Qui décide de ce genre de thème pour les concours, s’il est bon ou pas ? 

Et puis que répondre à cette question lorsque tant de personnages, tant de situations, tant de mots vous trottent dans la tête, se mélangeant allègrement pour mieux vous emporter ? La difficulté se situe dans le choix. Tous les personnages que j’ai remarqué plus que d’autres sont fascinants, mais rarement tous pour la même raison. Le courage de l’un, la description de l’autre, les actes d’un troisième… Lorsque ce n’est pas un personnage, c’est le livre dans son ensemble qui m’impressionne et se grave dans ma tête. C’est dur de sélectionner, de me dire que « je dois n’en prendre qu’un », parce que chaque livre, chaque héros, héroïne ou second rôle me laisse un souvenir, vivace ou ténu, mais bel et bien présent. Je vais donc essayer de choisir, sans vraiment pouvoir le faire. Et puis il faut dire que des fois, il n’y a pas vraiment de raison au fait d’aimer tel ou tel livre. C’est comme ça, c’est tout.

Il y a des livres, des héros qui n’ont besoin de personne pour exister. Des héros de la réalité. L’un de ceux qui m’ont marqué s’appelle Jean-Dominique Bauby, et lui n’a pas été imaginé par qui que ce soit. Réel, de chair et d’os, et enfermé à l’intérieur de lui-même. Et il a parlé, depuis ce qu’il appelle le scaphandre qui lui sert de corps, avec le sarcasme et l’assurance que tous les hommes portent en eux, au moins une petite graine. Celle qui ne germe que de temps en temps, juste un instant pour dire les bons mots au bon moment, et qui retourne hiberner aussitôt l’instant de gloire passé. Et Bauby, dans ce livre, l’a fait non seulement germer, mais fleurir. Court, léger et pourtant tellement lourd de sens, le Scaphandre et le Papillon laisse une grande trace qui n’est pas prête de s’effacer.

Il y a aussi des héroïnes. Celle qui m’a marqué hier s’appelle Emmanuelle Laborit. Sourde et muette. Dans son Cri, elle parle du monde des sourds et d’elle-même. Elle parle et j’aurais voulu la voir signer tout ce qu’elle a écrit. Et la lire plus tôt aussi. J’ai plus de dix ans de retard. De la même façon que l’actrice sourde dont le nom-signe est un soleil qui part du cœur, grâce à Armand Pelletier, dans Moi, Armand, né sourd et muet, son autobiographie, les sourds ont une voix. Les trois millions qu’ils sont en France ne sont devenus réels pour moi que l’année dernière seulement, parce que ma sœur s’y est investi. Aujourd’hui je voudrais les défendre à mon tour, leur prêter ma voix. Et parce qu’un sourd est plus bavard avec ses mains et son corps que n’importe quel entendant avec ses cordes vocales et son nerf auditif fonctionnel, je voudrais qu’on les écoute. La surdité est, après tout, le seul handicap physique qui ne se voit pas lorsqu’on croise une personne qui vit avec.

 Et puis, il y a cette phrase, qu’on a fait grimper au rang de proverbe, et qui dit que le rire est le propre de l’homme. Je dis qu’on peut bien rire, mais que la hyène le fait aussi. Pour moi, ce qui fait un être humain, c’est son imagination. Car si les hommes ne savaient pas imaginer et relativiser, ils ne pourraient même plus rire. Une bonne blague, c’est parce qu’on se la représente et qu’on l’imagine qu’on peut en rire. C’est l’imagination qui amène à la création, à l’écriture.

Il y a tant de héros qui peuvent marquer quelqu’un. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui rend certains personnages plus attachants que d’autres, ou plus détestables ? Qu’est-ce qui fait que beaucoup de gens vont lire tel livre, en dédaigner tel autre, critiquer celui-ci, ne pas pouvoir finir celui-là ? À quoi décide-t-on qu’un livre mérite un prix, et son auteur la consécration ? Il faut savoir que si l’on demande à des passants quel est le livre qu’ils ont préféré, et surtout pourquoi lui parmi tant d’autres, la majorité d’entre eux ne saura pas répondre. Et puis… Il suffit d’avoir la curiosité d’ouvrir un nouveau livre dès qu’on a terminé celui qui vient d’être proclamé « préféré », et il y a beaucoup de chances pour que celui-ci soit relégué aussi vite qu’il a été consacré. Il y a tant de manuscrits qui sont noyés dans la foule des best-sellers (qui n’en sont parfois que parce qu’ils ont bénéficié d’une large publicité) et qui peuvent, avec un peu de chance, devenir LE livre.

Il y a le premier livre dont je me rappelle vraiment, L’œil du loup, parce que j’entamais ma période rebelle et que je retrouvais dans l’espièglerie de Paillette, la sœur du Loup Bleu, et aussi dans ce petit garçon que tout le monde écoute, à la seul différence que moi je parlais pour ne rien dire, et lui pour tout dire. Pennac a dans la voix, les mots, ce soupçon de gaminerie, mélange de cruauté enfantine et de tendresse qu’ont la plupart des adultes en voyant un petit garçon, une petite fille courir, tomber, et réaliser que oui, ça fait mal, et qu’il vaut mieux éviter de recommencer. J’aime cet auteur. Cabot-Caboche est un beau souvenir, la saga Malaussène un énorme éclat de rire à cause de ses dialogues piquants et de la vision d’un bouc émissaire professionnel.

Mais ce n’est que le premier. Parler de chacun me prendrait autant de temps que j’en ai mis pour tous les lire. Au final, pour essayer de répondre à cette question, la seule chose que je peux dire, c’est que tous ont laissé une trace, tous m’ont marqué de manière indélébile. C’est pour ça que j’ai toujours beaucoup de plaisir à les relire. Et parce qu’il y a tant de livres déjà publiés, personne n’a le temps de tous les lire dans une vie. Dommage.

Cette question, j’ai eu du mal à y répondre, et je ne doute pas être la seule, parce qu’elle ne s’adresse pas vraiment à moi, mais à tout le monde, et qu’il n’y a pas qu’une seule réponse non plus. Je lis beaucoup, jamais trop, jamais assez, mais plus que ce qu’il me faudrait pour pouvoir choisir ou être vraiment fascinée par un seul parmi la multitude. Aussi je reste vague, et mon héros est un vrai mélange de tous ceux que j’ai lu, de tous ceux avec qui j’ai avancé jusqu’au livre suivant. Je voudrais passer ma vie à lire tout ce qui passe devant mes yeux et ne les fermer que de fatigue, pour pouvoir rapidement les rouvrir et continuer à déchiffrer les mots dès que je serais assez reposée.

Tous m’ont apporté quelque chose. Le Seigneur des Anneaux me fait rêver depuis que j’ai douze ans, L’Assassin Royal depuis mes quinze ans. La Tour Sombre m’angoisse et me fascine toujours un peu plus, si bien que j’en suis à la neuvième relecture. La Horde du Contrevent, avec toutes les voix qui la composent, m’invite à la rouvrir sitôt refermée. Erik L’Homme et Philip Pullman ne cesseront jamais de m’émerveiller, car c’est lisant le Livre des Étoiles et ¿ la Croisée des Mondes que j’ai compris nombres de valeurs humaines et que j’ai pu grandir. J’étais un peu amoureuse de Guillemot et de Will, aussi.

Je dois parler du Monde selon Garp aussi, qui m’a incité à ouvrir les autres livres de John Irving et à l’apprécier, parce que je le trouve à part, décalé, intouchable mais touchant. Il faut également que j’évoque Les Piliers de la Terre, de Ken Follet, une saga de plus de mille pages qui s’étale sur soixante ans, une famille entière, une ville, un mode de vie, tout cela à l’époque de la construction des cathédrales. Ce livre offre une vue sur le Moyen Âge que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs, sauf parfois dans des documentaires, mais sans le réalisme de ce roman. Enfin, Barjavel. Ça se passerait presque de commentaires. Ravage garde ma grande préférence, car je me suis longtemps demandé après l’avoir lu comment j’aurais réagi, moi, à leur place.

L’année où j’ai eu quinze ans, j’ai découvert les mangas. Vous connaissez ? Vous aimez, vous détestez ? Pourquoi ? Je ne saurais pas moi-même répondre à ce pourquoi j’aime lire des mangas, mais je peux dire que j’en lis beaucoup. Si certaines séries sont créées avec un public spécifique visé (jeunes filles, jeunes garçons…), d’autres se démarquent par le simple fait de ne viser personne mais tout le monde à la fois, de par leur sujet, leurs héros, leur dessin… Jin en fait partie, ainsi que Transparent.

Le premier raconte l’histoire d’un neurochirurgien japonais de l’an 2000 transporté 138 ans dans le passé, à une époque où la médecine occidentale commence à se généraliser au Japon. Ce manga (qui ne compte pour l’instant que cinq tomes en France) conte les déboires de ce médecin qui va se démener pour sauver, avec les moyens du bord, le plus de gens possible. Jin Minakata va ainsi combattre des épidémies de rougeole, de choléra et de syphilis, trois des grands fléaux de ce temps, et décider de ne pas renoncer à sauver des vies, même si cela doit changer l’Histoire. C’est ce courage et cette volonté que le mangaka (l’auteur) a mis dans cette histoire qui me fait l’aimer, et la suivre avec impatience.
Le second est à part : ceux qu’on appelle les transparents, ce sont des hommes et des femmes, génies scientifiques, littéraires ou artistiques, qui sont atteints d’une malformation qui fait que l’on peut entendre toutes leurs pensées. Cette série en huit tomes suit les six transparents qui vivent au Japon, et montre comment nos sociétés sont basées autour du mensonge. De plus, cela fait réfléchir : et si c’était vrai ? Car dans le manga il existe une organisation gouvernementale qui s’occupe de protéger les transparents en contrôlant tout autour d’eux, les empêchant ainsi de savoir ce qu’ils sont. 

Il y a tant d’autres livres… Certains m’ont donné envie de vite les finir, d’autres de ne jamais arriver au point final. Ces livres-là, ce sont mes amours d’enfance et d’adolescence. Quels seront ceux de ma vie d’adulte ?

Sachez tout de même que rien ne m’éloignera de la littérature. Même les livres que j’ai eu du mal à ouvrir et qui me laissent un mauvais goût dans la bouche et dans le cœur lorsque je les ai enfin finis, je ne les ai jamais dénigrés. Si je peux monter jusqu’à huit livres commencés en même temps, il n’y en a jamais un que je laisse sans en connaître la fin.

Le fait est que dans les actes d’un personnage de fiction, c’est la voix de l’auteur qui se fait entendre. Aussi je retrouve dans ce héros des traits que j’ai lus dans un autre roman, écrit par le même homme, la même femme. Et puis il y a tant de livres que je n’ai pas encore lus, tellement d’autres que je lirai jamais, par manque de temps. Mais je ne m’arrêterai jamais à un seul livre, un seul auteur, une seule voix. S’il y a tant de livres, c’est bien pour qu’on les lise.

 

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