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Jusqu’à la dernière aube

                 La nuit. Envahie d’étoiles et de bruits étranges qu’on oublie durant la journée, qu’on retrouve avec délice tous les soirs, au crépuscule. La nuit apporte un manteau, une sécurité d’ombre et de ténèbres bienveillantes. Le jour met tout à nu, ne permet aucun masque, au contraire de la nuit qui les encourage. Vivre la nuit permet d’avoir des secrets, et cela, je ne m’en suis pas privé.

Moi, moi, moi. Les hommes sont narcissiques, ils se plaisent à parler d’eux, à se comparer avec le monde. Me décrire ne sert à rien. Dire mon nom n’a aucune utilité. Parler de mon existence est une perte de temps. Je ressemble à ce à quoi la Nature m’a fait ressembler, je porte un nom que je n’ai pas choisi, je vis seul et dans le noir. Je suis aveugle.

Mes oreilles me permettent de me situer et d’avancer. Mes mains m’aident chaque jour un peu plus. Je n’ai besoin d’aucune compagnie humaine. J’ai rencontré d’autres personnes qui vivent dans le noir, depuis toujours ou depuis peu. Il m’a semblé qu’aucune d’entre elles ne s’y est jamais vraiment habituée, n’a jamais apprécié de vivre dans un monde sans images, sans couleurs. Pour elles, c’est un monde sans vie.

Ce jour-là, je n’ai pas parlé. J’ai écouté, je me suis fait une idée assez précise de ce que le monde attend de ceux qui ne voient pas. Depuis, je porte un masque que j’ai modelé selon cette idée. C’est pour moi le moyen d’être oublié, car je paraissais trop différent des gens « comme moi », trop spécial, pas assez « ceci » ou trop « cela ». Juste moi. Comme tous les hommes, je suis unique, mais à tel point que je fais peur. Mon masque me fond dans la masse autant que me le permet ma cécité.

Je ne cherche rien. Je voudrais vivre dans un monde qui n’attendrait rien de moi, qui me laisserait exister, avec moi-même et sans les autres. Je ne cherche pas le bonheur, il m’a trouvé dans le noir où j’étais. Les ténèbres où j’étais étaient froides, mais une chaleur sans lumière est venue à moi, me sortir de mes peurs et de mes larmes, et j’ai trouvé ce que je ne désirais même pas, une envie inconsciente enfouie au plus profond de moi, une lumière noire qui m’accepte et me conduit. Je ne demande rien d’autre que la paix de la nuit.

Qui voudrait me comprendre ? Personne. Et je ne veux pas que quelqu’un essaye, ait un jour l’envie de voir en moi un ami, ou quoi que ce soit d’autre. Mais je crois que personne n’essaiera, parce qu’il me suffirait de montrer un peu du vrai moi, de celui derrière le masque de la normalité, le masque du soleil, pour que le fou ait peur de ma nuit.

Pourtant, quel homme puis-je bien être pour vouloir La fuir ? L’amour est affaire de lumière, selon Elle. Suis-je si faible ? Le noir est ma couleur, sans que j’y puisse rien. Si on veut de moi au point de n’avoir pas peu du noir, il faudra que j’apprenne à supporter les coups de soleil.

- Dis, ça fait quoi de rien voir ?

- Ferme les yeux et ne les rouvre plus.

- Tu n’as pas peur dans le noir ?

- Je n’ai jamais rien vu d’autre.

- Tu n’as rien envie de voir ?

- Les Ténèbres sont plus douces que la Lumière.

- Tu n’en sais rien, puisque tu n’as jamais vu la Lumière.

- Non, mais tu en as trop parlé.

Catégories : Originales

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